Bible, Histoire, Archéologie
Bible,
Histoire,
Archéologie
Mésha, roi de Moab,
la stèle
Sommaire:
La stèle de Moab – Une découverte mouvementée – Le tableau de la stèle et son texte – Une stèle de victoire royale – Traduction du texte – Une image du plateau de Moab – Une mention probable de l’expression « maison de David » – Image de la partie intérieure abîmée – Une nouvelle hypothèse et la réponse – Image du déchiffrement – Vidéo du Collège de France sur l’expo organisée autour de la stèle de Mésha
La stèle de Moab
La stèle de Mésha est l’une des rares sources externes à la Bible qui nous renseigne sur l’histoire de Moab. Elle comporte un des textes épigraphiques les plus importants jamais découverts au Levant du sud pour la connaissance de la langue moabite.
Rédigée à la gloire du roi Mésha, elle célèbre d’importantes constructions et des victoires remportées sur le royaume d’Israël après Achab, descendant d’Omri. La mention écrite D’« Israël » est la plus ancienne occurrence connue au Levant. Dhibân, l’antique Dibôn, où fut découverte la stèle, fut la capitale de ce royaume de Moab installé sur la rive orientale de la mer Morte.
Image ci-contre : le désert du Wadi Rum. L’un des déserts de la Bible, celui qui s’étend à l’est de la mer Morte au sud du pays de Moab. © Marc Truschel.
Une découverte mouvementée
Elle a été découverte sur le tertre du village de Dhibân en Jordanie du Sud, à l’est de la mer Morte. Ses ruines couvrent les pentes de deux monticules adjacents : le premier, situé au sud, est occupé par une citadelle et le village actuel. Le second, très ancien, situé au nord, est entièrement inoccupé.
Le 19 août 1868, sur ce second monticule, un cheikh de la tribu des Beni Hamideh attire l’attention du missionnaire alsacien Frederick Augustus Klein de la Christian Missionary Society anglicane de Jérusalem, sur un bloc de pierre noire au sommet ovale qui émerge du sol poussiéreux. Sur une face figure une inscription comportant les restes de trente-quatre lignes d’une écriture régulière moabite, proche de l’ancien phénicien et de l’ancien hébreu, ce qui pousse F. A. Klein à en recopier quelques mots et à les envoyer au consul prussien de Jérusalem.
La nouvelle parvient aux oreilles de Charles Clermont-Ganneau 1, orientaliste drogman (interprète) et chancelier du consulat français de Jérusalem. Celui-ci s’arrange pour faire réaliser en octobre 1869 une copie schématique par un émissaire ; ceci permit à C. Clermont-Ganneau de reconnaître l’importance et la date ancienne de la stèle. Il envoya alors un deuxième intermédiaire pour en faire un estampage, en décembre 1869.
Image ci-contre : copies de la stèle de Mesha par Sélîm al-Qâri. © Musée du Louvre, Département des Antiquités orientales.
Espérant peut-être en tirer un profit, les Bédouins font chauffer la pierre à très haute température, puis versent de l’eau très froide, la cassent en de nombreux morceaux et les distribuent aux principaux chefs de leur tribu.
De subtiles négociations permirent à C. Clermont-Ganneau de récupérer les deux principaux fragments ainsi que quelques débris, d’autres parvinrent au grand archéologue britannique, le capitaine Warren et à la société de la Palestine Exploration Fund, ainsi qu’au professeur Schlottmann, de la Société orientale germanique (Deutsches Morgenlandisches Geselleschaft). Apprenant que le Louvre avait acquis les morceaux recueillis par C. Clermont-Ganneau, la Palestine Exploration Fund lui fit généreusement don de ses fragments et la fille du professeur Schlottmann offrit le sien en 1891. C. Clermont-Ganneau reconstitue alors partiellement le monument, avec l’aide de l’estampage, et le fait placer au Musée du Louvre à Paris, en 1873.
1. Charles Clermont-Ganneau (1846-1923), professeur au Collège de France, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.
Une stèle de victoire royale
La forme cintrée, le basalte employé sont caractéristiques des stèles votives élevées dans les pays du Levant depuis l’âge du bronze, d’Ougarit sur le littoral syrien, à Hazor en Galilée. L’absence totale de représentation figurée est en revanche une exception, comme la place majeure donnée au texte. Avec ses trente-quatre lignes 2, c’est « la découverte la plus importante qui avait jamais été faite dans le champ de l’épigraphie orientale », pour reprendre l’exclamation d’Ernest Renan. La glorification du roi et des actions de son règne sont conformes à une littérature traditionnelle de l’idéologie royale dans l’Orient ancien et l’Égypte.
Image ci-contre : un sceau-scarabée et son empreinte : “appartenant à Kemosh’our”. VIIIe siècle avant notre ère. Deutsch and Heltzer. 1997. 109.
L’inscription livre la plus ancienne occurrence du mot Israël au Levant et constitue la source documentaire la plus détaillée sur le royaume de Moab et sa rivalité avec le royaume d’Israël à l’époque du roi Omri et de ses successeurs. Elle pourrait correspondre à une campagne menée après celle de la coalition 3 contre Moab, évoquée dans 2 Rois 3,4. Cette interprétation démontrerait que la stèle a bien été érigée après cette campagne et la chute de la dynastie omride (Israël a été anéanti à jamais ! ligne 7) et même après le coup d’État de Jéhu. La stèle livre également le nom du grand dieu de Moab, Kamôsh, dont Mésha se dit le « fils » spirituel.
Les victoires et les constructions de Mésha concernent surtout les territoires au nord de Moab, proche des frontières nord d’Israël.
Mésha se glorifie d’avoir pris les villes d’Atarot (tribu de Gad), Mêdabâ, Nébo, Yahaz, et d’avoir bâti ou rebâti Baalme‘ôn, Qiryatên, Aroër, Bêt-Bamôt, Bezer, Diblatên, autant de toponymes anciens mentionnés dans la Bible.
Au bas de la stèle actuelle commence une seconde partie qui évoque les victoires de Mésha dans le Sud, avec la conquête de la ville de Ḥôronên contre la « maison de David » (fin abîmée de la ligne 31), c’est-à-dire le royaume de Juda. Malheureusement, le reste de l’inscription avait déjà disparu en 1868.
2. La lecture de la dernière ligne suppose l’existence d’une ligne supplémentaire au moins.
3. Le roi d’Israël Yoram, le roi de Juda Josaphat et son vassal édomite.
Traduction du texte
La stèle se présente aujourd’hui avec des manques importants, probablement disparus à jamais, complétés en partie en plâtre grâce à l’estampage qui en a été effectué avant sa destruction partielle.
Image ci-contre : une stèle découverte à Shihân, représentant un dieu guerrier (Kamosh, divinité de l’orage ?) brandissant une lance dans l’attitude coutumière des stèles levantines. Musée du Louvre. © Théo Truschel.
La fin a disparu :
« Je suis Mesha, fils de Kamôsh, roi de Moab, le Dibônite. Mon père a régné sur Moab pendant trente ans et moi je suis devenu roi après mon père. J’ai fait ce haut lieu pour Kamôsh dans Qarhôh car il m’a sauvé de tous les rois et m’a fait jouir de la vue de tous mes ennemis. Omri avait été roi d’Israël et il avait opprimé Moab pendant longtemps car Kamôsh s’était mis en colère contre son pays. Son fils lui avait succédé, lui aussi : « J’opprimerai Moab ! » de mon temps, il avait parlé ainsi mais j’ai joui de sa vue et de celle de sa dynastie : Israël a été anéanti à jamais ! Or Omri avait pris possession du pays de Madaba et l’avait colonisé de son temps et pendant la moitié du temps de ses fils : quarante ans, mais Kamôsh l’a restitué de mon temps. J’ai rebâti Qiryaten. Les Gadiens avaient habité depuis toujours dans le pays d’Atarot et le roi d’Israël s’était bâti Atarot mais j’ai combattu contre la ville et l’ai prise ; j’en ai tué tous les gens et la ville appartint à Kamôsh et à Moab ; j’en ai rapporté l’autel des holocaustes de leur dieu bien aimé et l’ai traîné devant Kamôsh à Qeriyot. J’y ai installé des gens de Sharon et de Maharot. Kamôsh m’a dit : « Va, prends Neboh sur Israël ! » et je suis allé de nuit. J’ai combattu contre elle depuis le lever de l’aube jusqu’à midi ; je l’ai prise et j’en ai tué tous les habitants, sept mille hommes et garçons, femmes et filles et même les femmes enceintes car je les avais vouées à Ashtar-Kamôsh. Et j’y ai pris les autels des holocaustes de Yahvé (YHWH) (c’est la plus ancienne attestation de ce nom divin) et les ai traînés devant Kamôsh. Le roi d’Israël avait bâti Yahats et l’avait colonisée en combattant contre moi mais Kamôsh l’a chassé devant moi. J’ai pris de Moab une troupe de deux cents hommes en tout, je les ai portés contre Yahats et l’ai prise pour l’annexer à Dibôn. C’est moi qui ai bâti Qarhôh, la muraille des parcs et la muraille de la citadelle. C’est moi qui ai bâti ses portes et c’est moi qui ai bâti ses tours. C’est moi qui ai bâti le palais royal et c’est moi qui ai fait les digues du réservoir pour les eaux de l’intérieur de la ville. Il n’y avait pas de citerne à l’intérieur de la ville à Qarhôh, alors j’ai dit à tous les gens : « Faites-vous chacun une citerne dans votre maison ! » Je fis creuser les fossés pour Qarhôh par les prisonniers d’Israël. C’est moi qui ai bâti Aroër et c’est moi qui ai rebâti Bet Bamôt car elle était détruite. C’est moi qui ai rebâti Betser, car c’étaient des ruines avec cinquante hommes de Dibôn car tout Dibôn m’était soumis. C’est moi qui ai régné sur la centaine de villes que j’ai annexées au pays. C’est moi qui ai bâti le temple de Madaba et le temple de Diblaten et le temple de Baalmeôn et j’y ai érigé mes sanctuaires pour sacrifier le petit bétail du pays. Quant aux Hôronen, y habitait… et Kamôsh m’a dit : « Descends, combats contre Hôronen ! » Et je suis descendu et j’ai combattu contre la ville et l’ai prise. Et Kamôsh l’a restituée de mon temps et j’ai remonté de là dix… C’est moi qui… »
(Traduction A. Lemaire, 1986). Avec son aimable autorisation.
Le plateau de Moab et l’Arnon (Wadi al-Mawjib) qui a souvent servi de frontière : il a ainsi séparé les Moabites des Amorrites, puis, après l’installation des Hébreux, Moab des tribus israélites de Ruben et de Gad. Image © F. Higer.
Une mention probable de l’expression « maison de David »
L’expression « maison de David » doit probablement être lue dans la partie inférieure abîmée de la stèle de Mesha 4. En effet, à la fin de la ligne 31, on lit BT[D]WD et, d’après le contexte, cette expression désigne le royaume de Juda qui contrôlait la ville de Horonayim et une partie du territoire situé au sud-est de la mer Morte. L’expression BTDWD signifie que David était le fondateur de la dynastie régnant à Jérusalem, ce qui est tout à fait conforme à la tradition historiographique de la Bible.
La stèle de Mesha comporte l’une des rares mentions archéologiques du Tétragramme sacré (YHWH).
4. Hypothèse du professeur André Lemaire, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, section des sciences historiques et philologiques.
Une nouvelle hypothèse et la réponse
À l’occasion du 150e anniversaire de la stèle de Mésha, cette dernière a été l’objet d’une restauration accompagnée de nouveaux clichés des fragments et de l’estampage rétroéclairé à très haute résolution.
S’appuyant sur ce dernier cliché, dans le dernier numéro de la revue Tel-Aviv, Nadav Naaman, Israël Finkelstein et Thomas Römer réfutent la lecture de la ligne 31 (très abîmée) proposée par André Lemaire, directeur de recherche à l’École Pratique des Hautes Études (EPHE), à savoir celle de l’expression BT [D]WD, Beit David qui, prise dans son sens dynastique signifie «maison de David».
Selon les trois spécialistes, il faudrait plutôt lire/restituer «Ba[laq]», nom du roi de Moab qui dans le livre des Nombres commande au prophète Balaam de maudire Israël (Nombres 22-24). Selon eux, la lecture/restitution Ba[laq] serait plus conforme au nouveau cliché.
À cette nouvelle interprétation, Michael Langlois, spécialiste de paléographie et d’épigraphie hébraïques assistées par ordinateur, a aussitôt réagi : l’estampage est difficile à lire et, à son avis, ils l’ont mal interprété. Apparemment, ils n’ont pas examiné l’original au Louvre et ils ne sont pas au courant que la stèle et l’estampage ont déjà été photographiés récemment (2015) en RTI (Reflectance Transformation Imaging), ce qui permet de les étudier en jouant facilement avec les diverses origines possibles de la lumière rasante et facilite, de façon générale, l’étude paléographique des inscriptions incisées ou en relief. En fait, pour réfuter la lecture BT[D]WD, les trois spécialistes s’appuient surtout sur un argument soi-disant philologique, à savoir que BTDWD, «la maison de David», est un collectif qui ne peut être sujet du verbe YŠB, «habiter» alors que l’on en a des exemples dans le texte de la stèle elle-même et dans la Bible hébraïque.
S’appuyant sur les photos RTI, dans son article publié dans le dernier numéro de Semitica, Michael Langlois confirme la proposition de lecture d’André Lemaire. Il propose même, grâce à ces photos, d’identifier certaines traces de l’estampage du Louvre comme les traces du premier D qui a disparu lorsque la stèle a été éclatée par les Bédouins et qu’on ne voit pratiquement plus sur la stèle elle-même aujourd’hui.