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Bible, Histoire, Archéologie

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La loi dite du « talion »
« …œil pour œil, dent pour dent… »

D’où provient cette expression et comment a-t-elle été appliquée à ce principe de la Loi (ici civile et non pénale) promulguée au Sinaï et devenue dans l’Histoire un contre-sens biblique ?

Introduction

L’origine du sens erroné de la loi du talion : le Code d’Hammourabi.

talion, du latin « tel » ou « pareil ».
1. Droit civil ou droit pénal ?

Stèle de forme cylindrique de 2,25 m de haut. Érigée à Babylone dans le temple de Sippar, elle a été rapportée comme butin de guerre par les rois élamites vers 1150 avant notre ère.
Le haut de la stèle est orné d’un bas-relief représentant les principales divinités, dont Shamash, le dieu soleil assis sur un trône, ainsi qu’Hammourabi debout devant son dieu.

Image ci-contre : la stèle du code d’Hammourabi. Le texte (détail) des 28 colonnes comprenant les 282 « articles de loi» est gravé dans la langue des Sémites d’Akkad. Hauteur 2,25 m. Image et montage © Théo Truschel.

Le code est gravé en caractères cunéiformes disposés en colonne. La première partie du code est le récit de l’accession au trône d’Hammourabi. La seconde partie du code, la plus importante, contient 282 articles de 3 000 lignes qui énoncent chacun un aspect de la jurisprudence.

La Loi sinaïtique

La loi sinaïtique « … œil pour œil, dent pour dent… » revient à trois reprises dans le Pentateuque :

1. « Mais si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, … » (Exode 21,23-25).
2. « Si quelqu’un blesse son prochain, il lui sera fait comme il a fait : fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent ; … » (Lévitique 24,17-22).
3. « Tu ne jetteras aucun regard de pitié : œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied… » (Deutéronome 19,21).

1. Ce qui relève du droit pénal, ce sont les contraventions, les délits et les crimes. On y trouve : le vol, le meurtre, le viol, les effractions, les violences envers autrui, les infractions au code de la route… Le droit civil touche plutôt les contrats de tout type, le droit du travail (les Prudhommes), les dommages et intérêts, le droit des consommateurs, le droit de la famille (divorce, mariage, enfants, successions…).
Une vue (détail) sur la mer Morte.
D’une surface approximative de 810 km2, il est alimenté par le Jourdain et l’Arnon issu du plateau jordanien. Alors que la salinité moyenne de l’eau de mer est de 2 à 4 %, celle de la mer Morte est d’approximativement 27,5 % (soit 275 grammes par litre). Cette salinité, ainsi que la présence d’électrolytes toxiques fait qu’aucun poisson ni aucune algue macroscopique ne peuvent subsister, ce qui lui vaut le nom de « mer morte ». Image © Doron Nissim.

Selon la Torah

L’un des arguments majeurs contre la Torah est la référence à la loi dite du « talion », qui commence par « … œil pour œil… ». Or pour la tradition juive, c’est un contre-sens de traduire ainsi, car la vengeance ne peut constituer un acte divin de justice. La justice consiste à dédommager le blessé, en évaluant la totalité des préjudices. En effet, encore aujourd’hui, cette loi, commentée même dans certaines facultés de droit, est comprise de cette manière :

J’ai subi un dommage et je me fais moi-même justice …

La vengeance (ou représailles) n’est pas un principe de justice biblique. En l’appliquant ainsi, le problème ne répare rien et perdure (vendetta). Le but visé par Dieu, c’était de réparer (ou de dédommager) et de « repartir ».

Paysage d’Israël
Israël est avant tout un pays d’Asie, relevant de la partie géographique du Proche Orient appartenant au grand ensemble régional dénommé Asie de l’Ouest. Le pays occupe une situation exceptionnelle de carrefour intercontinental, par sa position centrale en Asie de l’Ouest, par sa proximité avec l’Afrique via l’Égypte et par ses relations régulières et soutenues avec l’Europe grâce à son large accès sur la mer Méditerranée. Par ses nombreux liens de différentes origines qui l’unissent étroitement à l’Europe, Israël forme une sorte de « porte ouverte » de l’Occident sur le continent asiatique. Image © Doron Nissim.

Les paroles de Jésus

Jésus-Christ, qui n’est pas venu pour abolir la Loi mais pour l’accomplir, reprend dans l’Évangile de Matthieu 5,38-40 :

« Vous avez appris qu’il a été dit : « œil pour œil et dent pour dent ». Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. À qui veut te mener devant le juge pour prendre ta tunique, laisse aussi ton manteau… ».

Image ci-contre : un feuillet de l’Évangile de Matthieu en latin datant du XIe siècle, le codex Harleianus 5784 Harley 1775, British Library. image © Gerardos.

 Il faut remarquer les termes que Jésus utilise pour commenter ce passage biblique. Il ne dit pas : « il est écrit… » comme il l’exprimait souvent devant ses interlocuteurs (exemple de Jésus dans le désert face à Satan, Matthieu 4,10) mais il dit, ici, « Vous avez appris qu’il a été dit… » Il semble que la bonne compréhension de cette loi avait déjà dévié du temps de Jésus de Nazareth.

La tradition du judaïsme

Selon la Mishna dans le Talmud
Cette règle indique la nécessité d’une équivalence compensatrice dans le châtiment. Le Talmud dans l’ordre Nézikin, traité Baba Kama, fait valoir l’idée que les versets d’Exode 21,23-25 ; Lévitique 24,17-22 et Deutéronome 19,21 précités ne sauraient être pris à la lettre étant donné qu’il est impossible de déterminer si, par exemple, les conséquences de la perte d’un œil par une personne équivaudront aux conséquences de la perte d’un œil pour une autre.
Le principe général retenu par la Loi juive pour tout dommage physique reçu est le paiement de dédommagements pour :

– Nezek, la valeur de l’incapacité physique permanente mesurée en termes de manque à gagner professionnel ;
– Shevet, la perte de revenu pendant la récupération de la blessure subie ;
– Tzaar, le prix de la douleur ;
– Ripouy, le coût des frais médicaux ;
– Boshet, la honte infligée.

La valeur exacte de ces dédommagements doit être jugée au cas par cas.
Le judaïsme rabbinique ne retient ainsi de la loi du « talion » que l’idée d’une juste compensation financière, sauf pour les crimes capitaux en vertu du principe que la vie humaine n’a pas de prix et ne peut donc pas être compensée financièrement. (voir Genèse 9,6).


Documents transmis par Raphaël Draï (1942-2015), professeur agrégé de sciences politiques et professeur à la faculté de droit et de sciences économiques de Nancy et de sciences politiques à l’université d’Aix-Marseille III.

Pour en savoir plus

Raphaël Draï
Le mythe de la loi du talion, éditeur Hermann, 2017.
« OEil pour oeil, dent pour dent ». Cette sentence biblique résume une conception de la justice comme devant être à la fois impitoyable, ferme et équitable. Elle énonce le juste à travers un strict calcul égalitaire, une équation entre la sanction (la peine) et le préjudice (le crime commis). Pourquoi qualifier cette loi du talion de mythe ? Parce qu’elle est rapportée depuis des millénaires à la culture juive. Le contresens est total à cet égard. Le droit hébraïque a constamment récusé le principe du talion et toutes ses modalités.