Bible, Histoire, Archéologie
Bible,
Histoire,
Archéologie
Les Hyksôs
Introduction
Qui sont les Hyksôs ?
La réputation d’envahisseurs étrangers qui leur a été attribuée est-elle justifiée ?
Que sait-on aujourd’hui à leur sujet ?
Les Hyksôs ou « chefs des pays étrangers » (héqaou-khasout) est le nom donné aux rois d’Avaris dans le delta oriental du Nil, par l’historien égyptien du IIIe siècle, Manéthon, terme repris par Flavius Josèphe dans son Contre Apion ; ce terme fantaisiste faisait d’eux des « rois pasteurs » envahisseurs de l’Égypte, les assimilant aux bédouins du Sinaï ou d’Arabie. Cette appellation vient de deux stèles découvertes à Karnak faisant le récit de « La guerre de l’an 3 » de Kamosé, récit composé par les scribes du roi à sa gloire après la prise d’Avaris. L’origine des Hyksôs est à ce jour incertaine mais il semble que ce soit une population issue surtout du sud de Canaan et de façon plus hypothétique du nord de Canaan.
Les Hyksôs et le récit biblique de Joseph, fils de Jacob
En se référant à la chronologie de Manéthon, sujette à caution cependant, on place les Hyksôs pendant la Deuxième période intermédiaire (vers 1700/1550 avant J.-C.), mais la présence de ce type de population est attestée dès la fin du IIIe millénaire. La tradition biblique situe par ailleurs à cette période, mais sans préciser de nom de règne, le récit de la venue de Joseph en Égypte et de son élévation au rang de vizir. Dans ce contexte, le pouvoir confié à un étranger « asiatique » n’a rien d’impossible (Sur ce sujet, un article, en cours de rédaction, sera publié prochainement).
Le delta du Nil désigne la région d’Égypte où le Nil se jette dans la mer Méditerranée. C’est une région marécageuse qui depuis l’Antiquité a toujours été riche en faune et flore. Depuis près de 5 000 ans, le delta est une zone d’agriculture intensive. Le papyrus égyptien vient en grande partie de cette région. Il se situe au nord de l’Égypte et commence au nord de la ville du Caire, à quelque 150 km de la côte méditerranéenne, en un lieu que les Égyptiens nomment « Le Ventre de la vache » (Batn el-Baqara). Le Nil, après un parcours de près de 6 600 km, s’y divise en plusieurs branches. Sa superficie est de l’ordre de 24 000 km2, faisant par sa surface le premier delta en Méditerranée devant celui du Rhône. © keem ahmed 1600320940.
Les origines du royaume d’Avaris
Situation dans le delta du Nil à la fin du IIIe millénaire et dans la première moitié du IIe millénaire :
Cette période est l’une de plus mal connue de l’histoire pharaonique ; se succèdent deux monarchies unitaires, celle d’Héracléapolis et celle d’Ititaouy toutes deux disposant de peu de moyens sur un territoire réduit ; en fait ces monarchies paraissent divisées en de nombreux petits pouvoirs locaux plus ou moins hiérarchisés et c’est ainsi que les rois d’Avaris semblent avoir été prépondérants dans le delta.
Image ci-contre : sceau scarabée hyksôs et son empreinte, XVIIe siècle avant notre ère, XVe dynastie. Ce sceau porte trois signes : ‘A.N.R., que l’on retrouve dans différents sceaux de la même période dans un ordre qui n’est pas fixé, quelquefois mélangés à des signes ornementaux. Certains spécialistes interprètent ces signes comme une inscription qui inclut le nom du dieu soleil RÂ ; d’autres y voient des signes qui n’ont pas de signification précise mais qui ont été gravés par des artisans « asiatiques » comme une imitation des signes égyptiens sans qu’ils en aient compris la signification. © Rina Viers / Association Alphabets.
En tout cas c’est à la fin du IIIe millénaire que le rôle de carrefour de Tell El Daba/Avaris s’affirma ; les fouilles montrent que les pharaons d’Héracléapolis y avaient fondé une centre-hout (logistique et militaire) là où se croisent des routes maritimes, fluviales et terrestres, de même que ceux d’Ititaouy (présence d’agents royaux chargés des unités de mesure et de la « maison de Byblos ») ; c’est à Avaris qu’aboutissait « le chemin d’Horus » voie terrestre reliant le port à la région de Gaza, 200 km à travers le Sinaï et au-delà vers la Syrie et la Mésopotamie. Bien des éléments montrent des contacts très étroits et réguliers avec les principautés du levant et leurs populations : on a ainsi découvert un temple de plan levantin à Tell Ibrahim Awad, et de la céramique du Sinaï et du Néguev à Tell el Daba.
Image ci-contre : les fouilles à Peru-Nefer. la ville du delta, est l’actuelle Tell ed-Dab’a. Depuis 1966, le site est fouillé par l’archéologue autrichien Manfred Bietak et son équipe. La ville s’est aussi appelée Avaris.
Début des travaux dans la zone F/I à l’automne 1979 © M. Bietak / ÖAI.
Il semble cependant que pendant toute cette période, le delta soit resté une région d’habitat dispersé avec des villes en déclin, traversé par des pasteurs et des populations indépendantes venues du Levant ou de Libye, exerçant l’agriculture et l’élevage à partir de campements saisonniers. Ils pratiquaient aussi le trafic de minéraux comme la galène (pour le khôl et la teinture noire), le cuivre ou la turquoise des mines de Sérabit el-Kadim dans le Sinaï. Et la réalité de ces échanges apparait sur les murs des tombes de Béni Hassan en Haute Égypte où sont représentés de nombreux orientaux… d’autre minéraux venaient parfois de beaucoup plus loin comme l’étain (pour la fabrication du bronze) ou le lapis-lazuli depuis l’Afghanistan à travers l’Iran, la Mésopotamie et le Levant. À cette période, un réseau d’échanges est en plein essor reliant l’Asie à l’Afrique, la Méditerranée à l’Océan Indien.
Image ci-contre : un diadème en or d’un roi d’Avaris mise au jour lors de fouilles archéologiques. © Metropolitan Museum of Art de New York.
Une autre marque de la présence de populations asiatiques est la découverte de nombreuses « tombes de guerriers » dans l’arc de cercle du Sinaï au delta occidental ; il s’agit d’inhumations, parfois sous tumulus, de guerriers levantins accompagnés d’une riche panoplie d’armes et d’un ou plusieurs ânes enterrés à l’entrée des tombes, l’âne étant encore à cette époque, l’animal utilisé par les guerriers et les commerçants. Enfin on commence à constater, dans des inscriptions, la description de maisonnées dont une partie était égyptienne et l’autre « asiatique » et dont le mode de vie est égyptien. Certains de ces levantins sont vraisemblablement des prisonniers ramenés en Égypte, mais pour beaucoup il s’agit d’artisans, commerçants, interprètes, marins, soldats, chefs de caravanes, formant une société multiculturelle basée sur le commerce et les échanges. C’est de ce terreau singulier et non d’une invasion de la région que le royaume d’Avaris tire ses origines.
Serabit el-Khadim est un plateau situé dans le Sinaï entre les wadis Saweg et Bata. D’une altitude de 850 m, il comporte plusieurs couches schisteuses, autrefois riches en turquoise. Les mineurs creusaient des puits verticaux, leur permettant d’accéder ainsi aux veines de turquoise. C’est sur les parois de ces galeries que Petrie découvre en 1905 les premières inscriptions protosinaïtiques. À l’extrémité est du plateau, se dressent les ruines d’un temple dédié sous la XIIe dynastie au culte de la déesse Hathor, « maîtresse de la turquoise », avec des stèles de plus de 2 m de haut. D’autres divinités étaient célébrées comme Soped, divinité locale, ainsi que Ptah, le démiurge de Memphis. © Rina Viers/Association Alphabets.
Fresque minoenne reconstituée à partir des débris retrouvés sur le site de Tell ed-Dab’a/Avaris (La Peru-Nefer de Thoutmôsis III), en Égypte. Aujourd’hui exposée au Musée archéologique Iraklion, Crète, Grèce. Licence sous CC-BY-SA-2.5.
Elle date de la XVIIIe dynastie d’Égypte, probablement sous le règne de Hatchepsout (règne vers 1479 – 1458 avant notre ère) ou du temple que Thoutmôsis III (règne de 1479 à 1425 avant notre ère) avait fait ériger sur le site.
Les peintures indiquent une implication de l’Égypte dans les relations internationales et les échanges culturels avec la Méditerranée orientale, soit par le mariage, soit par l’échange de cadeaux. @ Martin Dürrschnabel, Benutzer : Martin-D1.
L’âge d’or d’Avaris
Alors que la monarchie d’Ititatouy s’efface progressivement, deux royaumes émergent au XVIIIe et surtout au XVIIe siècle avant J.-C. L’un est guerrier, centré autour de Thèbes, l’autre est commerçant autour d’Avaris, sa capitale dans le delta oriental. Tant que les deux royaumes furent séparés par les marécages de la Moyenne Égypte, ils ne se confrontèrent pas.
Image ci-contre : fresque minoenne reconstituée d’Avaris/Tell ed-Dab’a aujourd’hui au musée archéologique d’Héraklion, Crète. @ Musée archéologique d’Héraklion, Crète.
Le site portuaire de Tell ed-Dab’a voit s’établir une colonie de marins, de marchands, de constructeurs de navires venus du Levant ; leur présence devient tellement importante qu’apparait sur place une culture originale où se mêlent des éléments égyptiens et levantins : ainsi on trouve des inhumations au sein même des habitations, ce qui est une pratique « asiatique » ; la taille des sanctuaires, des palais, des bâtiments augmente tandis qu’apparaissent dans les palais des salles de banquets qui réunissaient les alliés du roi.
C’est par Avaris que transitaient les importations venues ou à destination des mondes égéens (Chypre) et levantins (dont Byblos, relais important vers Mari et la Mésopotamie) : on a retrouvé deux millions d’amphores pour l’huile et le vin à Tell el Daba/Avaris ; Les échanges s’effectuaient aussi vers la Haute Égypte, la Nubie et le royaume de Kerma. La richesse de Tell el Daba est incontestable selon les inscriptions même de son vainqueur le roi Kamosé : « des centaines de bateaux chargé d’or, d’argent de lapis lazuli, de turquoise, de haches de bronze, d’encens, de bois précieux et d’huiles parfumées, tous les beaux produits du pays de Retenou (= Canaan). »
Image ci-contre : un scarabée portant le nom du roi Khayan (vers 1620-1581 avant J.-C.), un des derniers rois d’Avaris. Deuxième période intermédiaire. © MET.
La ville de Charouhen, de l’autre côté du Sinaï, au sud de Gaza semble être l’autre grand centre du royaume : elle se situe au débouché des routes de caravanes du pays de Canaan et de l’est du Jourdain, elle est donc au centre des réseaux d’échange, une porte d’entrée vers l’Égypte.
La liste des rois d’Avaris et la durée de leur règne pose des problèmes insolubles, car on ne peut se fier aux listes de Manéthon. Le roi le mieux attesté pour le début de la période est Néhésy Ier (« le Nubien ») nom qui peut s’expliquer par les liens commerciaux avec la Nubie (sceaux retrouvés près de la Deuxième cataracte) ; on a par ailleurs la liste d’une cinquantaine de rois dont on ignore pratiquement tout, certains portant des noms sémitiques qui trahissent leur origine levantine, plusieurs sceaux ayant été retrouvés sur des site cananéens.
La dynastie des Hyksôs semble avoir régné une centaine d’année en Égypte (vers 1650/1539).
Image ci-contre : tête du pharaon Ahmosé exposé au Metropolitan Museum of Art de New York @ Keith Schengili-Roberts.
Le règne de Khayan (1610/1580), un des derniers rois d’Avaris, est le moins mal documenté ; son palais a été identifié, avec son mobilier et ses salles de banquet ; le cartouche de ce roi a été retrouvé en Babylonie, en Anatolie centrale et en Crête. Apophis serait quant à lui parvenu à s’étendre sur la Moyenne Égypte durant la première moitié du XVIe siècle en s’emparant de Memphis ; le dernier roi d’Avaris, Kamoudi, fut renversé par le pharaon Ahmosé (vers 1550/1525 avant J.-C.).
L’affrontement avec Thèbes et la fin du royaume d’Avaris
Jusque là séparés par les marécages de la Moyenne Égypte, les relations entre les deux royaumes ne cessent de se dégrader avec la prise de Memphis par le roi d’Avaris Apophis. Les Thébains désirent se libérer des « servitudes » imposées par les Avarites. Dans le texte de « la guerre de l’an 3 » le pharaon déclare « on ne peut s’arrêter sans être pressurés par les impôts des Asiatiques… » ; en fait les Thébains voulaient pouvoir accéder directement à la Méditerranée et au trafic avec le Levant. Le prétexte trouvé fut que Kamosé voulait être reconnu comme un « Grand » par son voisin qui héritait du simple titre de « prince », donc un inférieur. Dès lors Kamosé (1555/1550) se lance à l’attaque d’Avaris avec son armée appuyée par une flotte ; Il parvient semble-t-il à un accord avec les Hyksôs qui quittent Avaris avec leurs armes et se replient de l’autre côté du Sinaï. C’est alors que les opérations militaires furent assimilées à une lutte « nationale » contre une puissante armée d’occupation « asiatique » : c’est le mythe des Hyksôs qui est mis en place par les Thébains, seuls « véritables » égyptiens.
Quelques années plus tard, alors que Kamoudi avait repris la ville depuis Charouhen, le pharaon Ahmosé (1550/1525) vient faire un second siège d’Avaris, il parvient à s’emparer de la ville qui subit un pillage en règle avant d’être livrée aux flammes ; le pharaon franchit le Sinaï et s’empare aussi de Charouhen. C’est la fin définitive de la monarchie du nord.
La prise d’Avaris permet aux Thébains d’accéder maintenant directement au commerce du Levant et de la Méditerranée ; ils marquent leur emprise par la construction d’un nouveau palais et disposent désormais de ressources financières et territoriales pour affirmer leur volonté de puissance.
C’est avec Khamosé que commence le Nouvel Empire et ses conquêtes.
La scène la plus célèbre de la tombe de Khnoumhotep II (tombe BH3), l’une des plus belles de Beni Hassan. Khnoumhotep y raconte l’histoire de sa famille, expliquant les fonctions importantes qu’elle a exercées et sa propre administration du nome ; il évoque ses enfants ainsi que la construction de son tombeau. La scène la plus célèbre est celle de l’arrivée des « Asiatiques », en la sixième année du règne de Sésostris II.
Les deux versions : celle du dessus, en l’état aujourd’hui (cette fresque se dégrade d’année en année), et celle du dessous, reconstituée sur ordinateur. © Montage Théo Truschel.
Le texte a été rédigé par un de nos auteurs d’après l’ouvrage : l’Égypte des Pharaons, de Narmer à Dioclètien ; Damien Agut ; Juan Carlos Moreno-Garcia ; coll. « Mondes Anciens » Belin 2016.
Pour en savoir plus
Damien AGUT, Juan CARLOS MORENO-GARCIA, L’ÉGYPTE DES PHARAONS : De Narmer à Dioclétien 3150 avant J.-C. – 284 après J.-C.
Depuis une trentaine d’années, les découvertes archéologiques mais aussi le réexamen des données anciennes ont profondément renouvelé notre connaissance de l’Égypte ancienne. Ces avancées premettent aujourd’hui de proposer un récit neuf, dégagé de la routine de l’histoire cyclique où, entre les « empires » forcément fastueux, viennent s’intercaler de sombres « périodes intermédiaires » marquées du sceau de la décadence.
MONDES ANCIENS. Sous la direction de Joël Cornette. Belin 2016.