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Guilgal,

lieu de célébration

Sites en forme de plante de pied.

Israël au début de l’âge de fer dans la vallée du Jourdain

Les sources

Adam Zertal (1936 – 2015)
Ancien président du département d’archéologie de l’Université de Haïfa, responsable à partir de 1978 de la mission The Manasseh Hill Country Survey en Samarie, le professeur Adam Zertal, chercheur émérite, était spécialiste de l’histoire des livres bibliques de Josué, des Juges et du Deutéronome.

Zvi Köenigsberg
Zvi Köenigsberg a travaillé aux côtés du regretté professeur Adam Zertal tout au long des fouilles d’Ebal (1982-1988). Parmi ses mentors de longue date, citons les professeurs Benjamin Mazar et Yair Zakovitch.
Z. Köenigsberg est l’auteur de l’ouvrage The Lost Temple of Israel, Academic Studies Press, Boston, 2015.

« Toute région que foulera la plante de votre pied, je vous la donne, ainsi que je l’ai déclaré à Moïse ». (Josué 1,3).
«  … il me dit : Fils de l’homme, c’est ici le lieu de mon trône, le lieu où je poserai la plante de mes pieds ; j’y habiterai éternellement au milieu des enfants d’Israël… ». (Ézéchiel 43,7).

Au cours des années 1996-2008, cinq importants sites ont été découverts et ont fait l’objet de fouilles archéologiques dans la vallée du Jourdain, au cours d’eau de Thirtsa et au mont Ebal. Leur taille est de 6 000 à 15 000 m2, ils sont entourés d’un mur bas de pierre, et ont tous la forme d’une gigantesque plante de pied (ou d’une sandale). Ils sont tous situés sur un terrain plat. Pour cette raison, leur forme particulière ne peut être attribuée à la topographie, mais doit être rattachée à une symbolique derrière laquelle se trouve une idée ou une idéologie.

Un important site d’une plante de pied mis au jour de 169 mètres de long sur 88 mètres de large, localisé à Bedhat esh-Shaʿab, dans la vallée du Jourdain près du village d’Argaman. © Adam Zertal/Université de Haïfa.

Qu’est-ce que guilgal ?

L’Histoire
Dans la Bible, Guilgal est le site où les Israélites établissent leur premier campement après leur entrée en Terre d’Israël (Josué 4,19) « … à l’orient de Jéricho… ». Josué y dresse douze pierres tirées du Jourdain que les enfants d’Israël ont traversé à pied sec (Josué 4,20). Les Israélites y célèbrent la première Pâque en Terre d’Israël (Josué 5,10). La génération née au désert y est circoncise. Le camp sert de base pour les campagnes de Josué en Canaan. Le site continue à être mentionné dans le livre du prophète Samuel qui s’y rendait chaque année comme à Béthel et Miçpa pour y rendre la justice. Ce nom est porté par au moins trois sites différents.
Guilgal constitue l’un des sanctuaires du territoire d’Ephraïm, avec Shilo et Béthel.

Son sens
L’étymologie du nom de guilgal explique sa « mobilité ». La plupart des traductions de la Bible traduisent le terme הַגִּלְגָּל comme un nom propre, guilgal, mais l’hébreu utilise un article défini (הַ) avant le mot (גִּלְגָּל), ce qui implique qu’il s’agit plus d’une description que d’un nom propre. Le mot guilgal signifie « cercle » ou, comme le suggère le lexique hébreu et araméen de l’Ancien Testament (HALOT), « cercle de pierres ».
Ainsi, il y aurait plusieurs guilgal parce qu’il y a plusieurs sites entourés d’une sorte de mur bas de pierre. Lorsque le texte dit le guilgal, alors, cela signifie probablement quelque chose comme le guilgal le plus proche. Cette utilisation est donc similaire à la façon dont les gens peuvent maintenant dire : « Je vais dans la ville aujourd’hui » – la ville particulière varie en fonction de l’endroit où se trouve le locuteur.

L’archéologie nous aide à localiser ces différents guilgal :

El-Unuq
Un site du début de l’âge du fer connu sous le nom d’el Unuq (en arabe « le collier ») est situé dans la vallée de Thirtsa, non loin de Sichem, à quelques kilomètres du Jourdain. Il s’agit d’un site ovale, entouré de pierres. Comme Zvi Köenigsberg le signale, en regardant vers l’ouest depuis el-Unuq, il est facile de voir le site de culte d’el-Burnat sur le mont Ebal, face au mont Garizim. Par conséquent, Adam Zertal l’a identifié avec le guilgal de Deutéronome 11,30 qui se trouve juste en face du mont Ebal.
Bien qu’aucun site de guilgal n’ait encore été identifié près de Jéricho, au moins quatre et peut-être cinq autres ont été mis au jour dans diverses parties de la vallée du Jourdain et de la région montagneuse israélite :

Bedhat esh-Shaʿab
Un important site appelé Bedhat esh-Shaʿab de 169 mètres de long et 88 mètres de large est situé dans la vallée du Jourdain, près du village d’Argaman.

Image ci-contre : dessin de la plante de pied Bedhat esh-Shaʿab / Argaman, avec l’aimable autorisation d’Aaron Lipkin.

Masua
Au sud-ouest de Bedhat esh-Shaʿab se trouve un autre site de guilgal, près de la colonie de Masu’a.
Yafit
Juste au sud-est du site de Mesua se trouve un autre village de forme ovale, près du village de Yafit.
Shaʿab Rumani
Également connu sous le nom de Guilgal Binyamin, c’est le plus petit des sites de guilgal. Il a été découvert sur la partie ouest de Wadi al-Makuk, légèrement au sud de la colonie de Rimmonim. Il s’agit probablement du guilgal mentionné dans 1 Samuel 7,16, comme l’une des étapes du circuit du prophète Samuel.
El-Burnat
Enfin, Zvi Köenigsberg suggère qu’el-Burnat, le lieu de culte sur le mont Ebal, est aussi une sorte de guilgal, même si la Bible ne l’appelle pas ainsi.

Vue générale aérienne du site après l’enlèvement de la couverture de pierres qui dissimulait la structure de l’autel du mont Ebal. © Adam Zertal, département d’archéologie de l’Université de Haïfa.

En dehors de ces sites, aucun site possédant la forme de la plante du pied n’a été découvert, ni sur la Terre d’Israël ni dans d’autres régions de l’Orient ancien. Ces sites ont été mis au jour dans le cadre d’un projet de recherche sur le mont Manassé : ce projet de recherche archéologique et historique, qui s’étend sur les trente dernières années, se situe en Samarie et dans la vallée du Jourdain (The Manasseh Hill Country Survey). Une étude complète d’environ 3 000 kilomètres carrés dans le nord et le centre de la Samarie et de la vallée du Jourdain 1. Elle est organisée par l’Université de Haïfa sous la direction d’Adam Zertal. Le projet se poursuit actuellement. Jusqu’à ce jour, six volumes d’actes de ce projet de recherche ont été publiés (cf. bibliographie).

1. 1532 sites ont été répertoriés, dont 88 % sont nouveaux, sur quatre saisons de fouilles, la première en octobre 1982, deux en 1983, et la dernière au cours de l’été 1984. Et ensuite une reprise de ces investigations en 1985, 1986, 1987, 1988 et 1989. En 1989, des objets datant du bronze récent ont été exhumés.
Image ci-contre : localisation des cinq sites Guilgal dans la vallée du Jourdain.
© Torah.com.

Dans le cadre de ce projet, d’autres découvertes ont eu lieu, elles aussi suivies de fouilles : celle de la ville zélote de Narbata, la ville des Peuples de la mer près du cours d’eau d’Eiron (« le bosquet des peuples »), l’autel de Josué au mont Ebal, à proximité de la ville actuelle de Naplouse (Sichem), etc. Trois des sites dits de « la plante du pied » ont fait l’objet de fouilles, l’un d’eux a été reconstitué (Guilgal Argueman). Tous ont en commun leur date de fondation : les XIIe et XIIIe siècles avant notre ère, ce qui devrait correspondre à l’entrée des tribus d’Israël sur la terre de Canaan par le Jourdain.

La symbolique de cette forme

Une recherche approfondie a démontré que la source de cette forme se trouve dans l’Égypte pharaonique. À partir des « écrits des pyramides», au IIIe siècle avant notre ère, le syntagme « fouler au pied » apparaît des centaines de fois, au sens de « soumettre ses ennemis », mais aussi de « contrôler ».
Un exemple : « Le pays de Punt, un pays qui n’a pas été foulé par le dieu (Pharaon) » à l’époque de la reine Hatchepsout (vers 1453-1419 avant notre ère).

Image ci-contre : dans l’hypogée de Toutankhamon, le fauteuil funéraire du pharaon mis au jour en 1922 dans la Vallée des Rois. Il comporte un marchepied gravé et peint des neuf ennemis traditionnels de l’Égypte antique.
© Théo Truschel/Musée égyptien du Caire.

«… L’Éternel a dit à mon seigneur : Assieds-toi à ma droite, et je ferai de tes ennemis ton marchepied. » (Psaumes 110,1).

Selon Adam Zertal, il semble bien que les enfants d’Israël ont importé ce concept en Canaan et l’ont radicalisé. Nous devons rattacher ce fait à la sortie d’Égypte et à l’influence égyptienne sur les débuts d’Israël.
Le sens de la plante du pied est aussi profond que divers dans le texte biblique. On peut le diviser en quatre groupes principaux :
– la propriété sur un territoire ;
– le lien entre le peuple et le pays d’Israël par le biais de la plante du pied ;
– la victoire sur ses ennemis par le biais de la plante du pied ;
– la représentation du Temple comme la plante du pied de Dieu.

Un ensemble de passages bibliques indiquent la propriété sur un territoire

« Toute région où se posera la plante de vos pieds sera à vous : depuis le désert jusqu’au Liban, depuis le fleuve de l’Euphrate, jusqu’à la mer occidentale, s’étendra votre territoire ». (Deutéronome 11,24).

« Toute région que foulera la plante de votre pied, je vous la donne, ainsi que je l’ai déclaré à Moïse » (Josué 1,3).

« Ne les attaquez point ! Car je ne vous les accorde pas, de leur pays, même la largeur d’une semelle, à Esaü attendu que j’ai donné la montagne de Séir comme héritage » (Deutéronome 2,5).

La plante du pied, expression interprétée jusque-là de manière métaphorique, est alors comprise ici comme un signe de la propriété divine. Voilà qui s’accorde aisément avec la conception selon laquelle le lieu du Temple est le lieu que foule le pied divin. La dernière citation évoque le pays d’Edom et l’interdit, adressé à Israël, de s’y implanter, d’où nous pouvons en déduire que la notion possède un sens particulier pour Israël.

Le lien entre le peuple et le pays d’Israël

« Je ne ferai plus errer les pas d’Israël loin du pays que j’ai donné à ses ancêtres, pourvu qu’il accomplisse scrupuleusement mes commandements, ainsi que toute la loi que mon serviteur Moïse lui a prescrite » (2 Rois 21,8).

« Je n’éloignerai plus les pas d’Israël du pays que j’ai assigné à vos pères, pourvu qu’ils accomplissent scrupuleusement ce que je leur ai prescrit, toute la loi, les statuts et les préceptes transmis par Moïse » (2 Chroniques 33,8).

« Et parmi ces nations mêmes, tu ne trouveras pas de repos, pas un point d’appui pour la plante de ton pied ; là, le Seigneur te donnera un cœur effaré, mettra la défaillance dans tes yeux, l’angoisse dans ton âme » (Deutéronome 28,65).

Dans le livre du Deutéronome, l’exil est considéré comme le lieu où, contrairement au pays d’Israël, le peuple ne connaîtra pas de repos.

La marche à travers le pays fait de ce pays la propriété d’Abram. Un processus similaire est évident dans le début du livre de Josué, où YHWH lui ordonne : « … Préparez-vous à traverser le Jourdain, avec tout ce peuple, pour entrer dans le pays que je donne aux enfants d’Israël. Je te donne tout lieu que foulera ton pied, comme je l’ai dit à Moïse. » (Josué 1,2-3). © Adam Zertal/Université de Haïfa.

La victoire sur ses ennemis

Cette conception, contrairement aux précédentes, n’est pas propre à Israël, et se trouve au contraire répandue dans l’ensemble des pays de l’Orient ancien.

« Tu sais que David, mon père, n’a pu édifier une maison en l’honneur de l’Éternel, son Dieu, à cause des guerres que ses ennemis lui ont suscitées sans cesse, jusqu’à ce que l’Éternel les eût mis sous ses pieds » (1 Rois 5,17)

« Des rois seront tes nourriciers, et leurs princesses tes nourrices, leur front jusqu’à terre se courbera devant toi, et ils baiseront la poussière de tes pieds. Et tu reconnaîtras que je suis l’Éternel, qui ne trompe jamais l’attente de ceux qui espèrent en moi » (Ésaïe 49,23).

« Il a soumis des nations à notre empire, jeté des peuples sous nos pieds » (Psaumes 47,4)

Ainsi également en Josué 10,24 ; 2 Samuel 22,39 ; Ésaïe 60,14 ; Psaumes 8,7 ; Malachie 3,21, etc.

La représentation du Temple

La conception des auteurs bibliques, qui leur est propre, est sans doute issue de l’existence des anciennes « plantes du pied » :

« La gloire du Liban affluera chez toi, cyprès, orme et buis, tous ses bois ensemble, pour orner le lieu de mon sanctuaire, pour honorer le lieu où reposent mes pieds » (Ésaïe 60,13).

« Ainsi parle l’Éternel : « Le ciel est mon trône et la terre mon marchepied : quelle est la maison que vous pourriez me bâtir, le lieu qui me servirait de résidence ? » (Ésaïe 66,1).

« Il me dit : « Fils de l’homme, c’est ici l’emplacement de mon trône, le lieu où repose la plante de mes pieds, où je résiderai à jamais au milieu des enfants d’Israël. Désormais la maison d’Israël ne profanera plus mon saint nom… » (Ézéchiel 43,7).

Ainsi également en Exode 24,10 ; Psaumes 99,5 ; 110,1 ; 132,7 ; Lamentations 2,1 ; 1 Chroniques 28,2 etc.

Le Temple est perçu comme la plante du pied divin. Notons la nouveauté de cette conception.

Autres concepts

La découverte des sites dits de « la plante du pied » éclaire d’une lumière nouvelle les commencements d’Israël et les débuts de la religion juive.

« Trois fois l’an, tu célébreras des fêtes (regalim, littéralement « pieds ») en mon honneur. Et d’abord, tu observeras la fête des Azymes : durant sept jours tu mangeras des pains Azymes (ainsi que je te l’ai ordonné) à l’époque du mois de la germination, car c’est alors que tu es sorti de l’Égypte ; et l’on ne paraîtra pas devant ma face les mains vides. Puis, la fête de la Moisson, fête des prémices de tes biens, que tu auras semés dans la terre ; et la fête de la récolte, au déclin de l’année, lorsque tu rentreras ta récolte des champs. Trois fois par an, tous tes mâles paraîtront par-devant le souverain, l’Éternel » (Exode 23,14-17).

Cf. aussi le parallèle, avec comprendre le mot « regel-hag (pied-fête) » compris au sens littéral – les anciennes fêtes étaient célébrées dans des rajouts, en Exode 34,24.

Le commandement de monter à Jérusalem afin de voir la face de Dieu a été généralement interprété comme un pèlerinage à Jérusalem. Nous proposons de comprendre le mot « regel-hag (pied-fête) » au sens littéral –  les anciennes fêtes étaient célébrées dans les sites de « la plante du pied », ce qui explique l’extension du sens du mot « regel » (pied) en « hag » (fête).

Alyah Laregel

Pèlerinage. Littéralement : ascension au pied

Le concept important de « Alyah laregel » doit être désormais compris au sens littéral : l’arrivée cérémonieuse de l’ancienne population d’Israël, durant les deux premiers siècles de son existence (de la traversée du Jourdain à l’établissement du Temple à Jérusalem), aux sites de « la plante du pied». Il s’agit de l’ascension à la fois vers les sites de « la plante du pied » et vers la fête (« hag ; regel »).

Hug (marcher autour de) – Hag

Autour de quelques-uns des sites, nous avons trouvé des chemins dallés (« chemins de procession ») destinés à une marche cérémonieuse autour des sites. De là, nous établissons le rapport entre le verbe « hug » et le substantif « hag ». Une marche cérémonieuse autour d’un site apparaît à plusieurs reprises dans le texte biblique, par exemple en Josué 6,3-5 ; Psaumes 26,6 ; 48,13 ; 55,11, etc.

Image ci-dessus : on distingue une partie de l’allée processionnelle qu’empruntaient les Israélites pour célébrer certains évènements de leur histoire. © Adam Zertal.

Conclusion

Après leur entrée dans le pays de la promesse, les tribus d’Israël construisent les sites dits de « la plante du pied », qui expriment une déclaration de possession sur le nouveau pays. L’importance de la plante du pied, tel que ce motif est développé dans le texte biblique, n’apparaît que dans la Bible, et jamais dans aucune des littératures de l’époque (le terme Guilgal apparaît 41 fois dans la Bible, version Louis Segond). De là, nous pouvons en déduire que le lien archéologique – ethnique entre les sites et les tribus d’Israël est quasi certain. Cette découverte éclaire d’un jour nouveau les concepts de « plante du pied » et leur importance dans le texte biblique. Il s’avère que les nouveaux sites étaient des lieux saints, et étaient même considérés comme le lieu que Dieu a foulé de son pied. D’où les notions de « regel » (pied, fête) et de « Alyah laregel » (ascension vers le pied). Ces découvertes révèlent aussi l’existence d’une communauté organisée et à la direction affirmée dès les débuts de l’histoire d’Israël en Canaan. Malgré l’origine diverse des passages bibliques en question, le motif de la « plante du pied » traverse la Bible de bout en bout.