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Bar Kokhba,
les monnaies
Jérusalem, le 11 mai 2020, jour de Lag ba-Omer – fête intimement liée aux évènements de la guerre de Bar Kokhba – le service des antiquités israéliennes diffusa dans la presse la photo d’une pièce en bronze remontant à cette époque. Portant les mentions de « Jérusalem an 2 », le service archéologique indiquait brièvement qu’elle venait d’être sortie de terre dans le célèbre parc archéologique William Davidson, devant les fondations du Temple bâties par Hérode. La nouvelle fit l’effet d’une bombe dans le monde feutré des numismates. La pièce est en effet rare à plus d’un titre.
Les différentes déccouvertes des monnaies
Sur les plus de 50 000 pièces connues aujourd’hui et frappées par les ateliers monétaires de Shimon Bar Kokhba, moins de cinq ont été découvertes à Jérusalem. Depuis la fin du XIXe siècle jusqu’au début des années 1980, la plupart des lots majeurs et identifiés sont le fruit de découvertes fortuites hors campagnes de fouilles. Les trésors monétaires ont été majoritairement retrouvés dans les montagnes de Judée entre Hébron et Bethléem. Précisément là où semblent s’être situés les points de commandement et de résistance à l’occupation romaine. La découverte dans les années 1960 de plusieurs éléments de la correspondance de Shimon confirme que cette zone a été très active et essentielle pour le commandement militaire juif.
Détail de la pièce découverte en mai 2020.
Image ci-dessus : l’avers, avec la mention « An 2 pour la liberté d’Israël » autour de la vigne.
Image ci-contre : le revers, « Jérusalem » inscrit sous le palmier. © AAI.
L’absence des monnaies
La quasi-absence de pièces de Bar Kokhba à Jérusalem semble accréditer le fait que les armées juives n’ont pas réussi à prendre le contrôle de la ville. La Xe légion Fretensis y avait été installée depuis la destruction du Temple en 70 de notre ère. Mais nos connaissances du conflit sont très lacunaires. Notre compréhension des opérations militaires nous échappe presque totalement. La numismatique reste un outil précieux pour tenter d’en savoir plus. La présence de ces trésors dans les montagnes de Judée suggère que ces lots ont été intentionnellement cachés attendant des jours meilleurs. Les Romains vainqueurs d’un pays exsangue, laissant des centaines de milliers de morts et autant d’esclaves, ont interdit l’usage des pièces frappées par les rebelles. Ces pièces ont donc été abandonnées dans des circonstances dramatiques jusqu’à nos jours.
Une projet politique
Ces monnaies présentent énormément d’intérêt pour les historiens, car elles nous donnent beaucoup d’informations. Elles sont toutes le résultat de frappes sur des pièces existantes, qu’elles soient romaines en argent ou en bronze ou de cités voisines de la Judée. Les dirigeants de la révolte ne disposaient plus de la richesse du Temple pour concevoir leurs propres monnaies. Cela signifiait aussi que plus aucune autre pièce, surtout celles de Rome, ne devait circuler en Judée. Les noms, titulatures et attributs de l’empereur devaient être effacés. Il y eut une véritable volonté politique derrière cette entreprise, la volonté de secouer le joug romain. Enfin, on a tendance à l’oublier aujourd’hui, mais frapper monnaie est une des fonctions essentielles de la souveraineté d’un État. Les pièces indiquent donc qu’il y a eu un projet politique qui s’est inscrit dans la durée.
Sur les pièces, on peut lire des slogans proclamant la rédemption puis la liberté pour Israël et Jérusalem. Ils sont parfois adossés à un nom, Shimon ou Shimon le Prince d’Israël. Le mot hébreu de nassi suscite des interrogations. Il est évoqué dans le corpus biblique pour un gouvernant qui apparaît à un moment capital de l’histoire d’Israël. Quelques pièces du début du conflit donnent le nom d’un prêtre, Éléazar, sans que nous puissions en dire guère plus sur ce personnage.
Une image générale de Jérusalem vue du Mont des Oliviers. © Adobe Nezek.
La datation des pièces
Les spécialistes repèrent trois grandes séries chronologiques 1. Deux séries datées an 1 et an 2 sont identifiables sur les pièces en bronze et en argent. La troisième série n’est plus datée, elle correspond aux années trois et quatre du conflit. La majorité des pièces connues n’est pas datée et correspond à cette série.
Pourquoi à un moment ne date-t-on plus les pièces ? N’est-ce pas le signe qu’on s’installe dans le conflit et qu’on n’en voit pas l’issue ? Est-ce qu’il faut parler de trois ans et demi de conflit comme le fait le Père de l’Église Eusèbe, une des seules sources écrites sur le sujet, ou alors de quatre voire plus, comme tendent à le croire aujourd’hui davantage de chercheurs ?
Les pièces portent des messages inscrits en caractères paléohébreux, comme les pièces hasmonéennes et les pièces de la Première Guerre juive (66-73 de notre ère). Cette graphie n’est cependant jamais utilisée dans la correspondance de Shimon ou dans les documents hébreux ou araméens retrouvés de cette époque. C’est donc plus qu’un choix stylistique. Il est vraisemblable que tout le monde n’était pas en mesure de comprendre cette écriture. Elle devait susciter sur un support aussi mobile beaucoup d’interrogations, de questions et de discussions. Les lettres par ailleurs possèdent une stylistique propre sur ces monnaies qu’on ne retrouve pas avant. Enfin les caractères ne sont pas toujours inscrits dans le sens attendu pour former le mot. Ils peuvent apparaître dans un savant désordre. Il faut raisonnablement exclure la possibilité que ces pièces fussent réalisées par des ignorants quand on comprend le soin qu’on y a apporté pour leur donner du sens. Les caractères de ces monnaies posent donc de nombreux problèmes aux spécialistes.
1. Le travail le plus exhaustif sur le sujet est le livre de Léo Mildenberg, The coinage of Bar Kokhba War, qui reste un outil indispensable bien qu’il date des années 1980. Une nouvelle synthèse est attendue sur le sujet tenant compte des nouvelles découvertes et des nouvelles approches sur le sujet.
Image de gauche : l’avers, représentation schématique du Temple détruit par Titus.
La ligne ondulée au-dessus de l’édifice représenterait la « vigne d’or » qui décorait l’entrée du sanctuaire. Au pied des colonnes, une sorte d’échelle pourrait correspondre aux degrés permettant d’accéder au Temple. Entre les deux colonnes centrales peut-être la représentation du saint des saints avec l’arche ou la table des 12 pains.
Le schématisme s’expliquerait par l’interdiction religieuse de représenter le Temple. Autour du Temple apparaît le nom « Shimon ».
Image de droite : le revers, une représentation des quatre espèces, loulav, etrog, hadassim, aravot, qui évoquent la fête de Souccot. Elle est associée à la légende : « Pour la libération de Jérusalem ». © DR.
Les motifs gravés sur les pièces
De la même manière, toutes les illustrations sont de nature à interroger le détenteur de la pièce. La plupart des motifs ne sont pas inconnus, sauf quelques exceptions notoires comme nous le verrons plus bas. Ils sont apparus durant le premier conflit de 66. Cependant là aussi le dessin est nouveau, toutes les illustrations sont liées directement ou indirectement au Temple de Jérusalem. Que ce soient les ustensiles, les instruments de musique, ce qui est nouveau, les symboles, les fêtes voire la représentation du Temple, qui est inédite jusqu’à présent. Les nouveaux représentants de l’État juif veulent donc délivrer un message. Il dépasse à mon avis le seul lien, même s’il est profond, avec Jérusalem et le Temple.
Image ci-contre : système possible pour la frappe des monnaies. Domaine public.
On reste frappé notamment par l’insistance de Shimon à faire représenter les quatre espèces de la fête de Succot sur les pièces et d’en parler plusieurs fois dans sa correspondance. Il y a là peut-être l’indice de la volonté de transmettre des messages plus profonds que la tradition kabbalistique par son contemporain Shimon bar Yohaï, (disciple de rabbi Aqiva), divulgua à cette époque. Ainsi parmi les nombreuses interprétations du mot de succa, « tente », est liée la notion de connaissance profonde (daât en hébreu) qu’apportent les quatre espèces de plantes. La branche de palmier figure la colonne vertébrale, le cédrat, le cœur, les myrtes, les yeux et les saules, les lèvres de la bouche. Le tout formant un outil de discernement. Ces symboles permettent d’entrer à des niveaux de compréhension profonds voir secrets du texte biblique décodés par les Sages d’Israël qui ont accompagné un temps Shimon dans son projet. La fête de Lag ba-Omer évoque non seulement le dévoilement des secrets de la Torah de manière codée par Shimon bar Yohaï, elle résonne aussi avec le martyr des dix grands Sages qui disparurent à cette époque.
Nous comprenons que nous venons seulement d’entrer dans le cœur d’un sujet qui s’attache aux significations et aux conceptions de ces pièces. Jamais de représentation humaine, mais des évocations du Temple considéré comme un grand jardin, celui de l’Eden avec des représentations de palmiers, de vignes et de ses instruments. Une fête évoquée en particulier, celle de Succot et pour la première fois la représentation frontale, symbolique du Temple. Indéniablement nous entrons dans la profondeur de l’histoire de Shimon à travers ses réalisations matérielles.
Bar Kokhba et son état-major ont redéfini un nouveau monde par leurs monnaies. Il leur a survécu.
Pour en savoir plus
Marc Truschel, La Judée de Vespasien à Bar Kokhba. Iudaea Capta.
Sources et lectures. La construction d’une histoire.
L’enquête menée à partir du corpus littéraire conduira le lecteur à travers un long voyage allant des écrits de la Rome flavienne à ceux du début du Moyen-Âge. L’ouvrage apporte de nouvelles perspectives par son analyse historique des deux conflits qui frappèrent durement la Judée antique.
Presses Académiques Francophones. 270 pages.