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Bible, Histoire, Archéologie

Bible,
Histoire,
Archéologie

Introduction

À quelques kilomètres au nord de la mer Morte, les eaux du fleuve Jourdain attirent les chrétiens depuis longtemps car Jean le Baptiste y aurait baptisé Jésus de Nazareth. Des fouilles archéologiques y ont révélé les traces d’une présence paléochrétienne importante, permettant de mieux cerner l’environnement du récit biblique.

Le fleuve Jourdain, dont le débit est aujourd’hui réduit du fait des activités économiques, coule toujours du Nord au Sud depuis le mont Hermon jusqu’à la mer Morte. À neuf kilomètres au nord de celle-ci, sur la rive ouest du fleuve, une élégante petite église orthodoxe appelée le Qasr el Yehud se dresse à quelques mètres du cours d’eau qui fait frontière entre Israël et la Jordanie.
Juste en face du Qasr el Yehud, un ruisseau coule depuis le plateau jordanien et se jette dans le Jourdain : le Wadi Kharrar. À l’extrémité orientale de celui-ci, il s’enfonce dans le plateau, dominé par un promontoire naturel, le tell Mar Elias.

Le Qasr el Yehud, église orthodoxe grecque à proximité du Jourdain, qui marque la frontière entre Israël et la Jordanie. © Doron Nissim.

Les archives historiques

Le lieu exact du baptême de Jésus de Nazareth est resté une énigme pendant plusieurs siècles. D’après l’Évangile de Jean (1, 28), Jésus aurait été baptisé par Jean-Baptiste à « Béthanie-au-delà-du-Jourdain », un site aujourd’hui inconnu mais qui se trouvait sans doute sur la rive orientale du fleuve, dans l’actuelle Jordanie.

Image ci-contre : Qasr el Yehud, église orthodoxe grecque située à quelques mètres du Jourdain. © Doron Nissim.

Plusieurs textes non bibliques de l’Antiquité tardive décrivent néanmoins le lieu supposé du baptême de Jésus-Christ. Ils désignent un endroit précis de la vallée du Jourdain dont ils fournissent quelques détails topographiques. Ainsi un pèlerin anonyme originaire de Bordeaux rapporta-t-il en 333 que Jésus avait été baptisé à 5 milles (7,5 km) au nord de la mer Morte, une distance qui place effectivement le lieu à la latitude du Qasr el Yehud. Un autre témoin, l’archidiacre Théodose d’Alexandrie (530), précise qu’une église Saint-Jean-Baptiste y fut construite, élevée sur des piliers et des arcades, et affirmait en outre qu’une colonne de marbre surmontée d’une croix marquait le point précis du baptême.

Image ci-contre : les ruines d’une basilique (détail) à proximité du Jourdain. Elle a été ensuite reconstruite sur des piliers et des arcades. © Sumit Lalchandani.

En 570, le pèlerin italien Antoine de Plaisance indiqua que le lieu était placé juste en face d’un monastère Saint-Jean, et qu’un escalier de pierres descendait vers la rivière jusqu’à l’endroit de l’événement.
Plus récemment, en 1899, le père Jean-Louis Féderlin visita le Wadi Kharrar et y repéra effectivement plusieurs églises en ruines. C’est en 1995 que le royaume de Jordanie décida de la mise en place d’un programme de fouilles, et qu’il en confia la direction à l’archéologue Mohammed Waheeb, du Service des Antiquités de Jordanie.

Le « véritable » lieu du baptême?

À proximité du Jourdain, près d’un ancien bras asséché du fleuve, les fouilleurs retrouvèrent les ruines d’une vaste basilique byzantine. On confirma qu’elle avait été construite sur des piliers et des arcades comme celle décrite par Théodose. Elle fut rebâtie deux fois juste à côté au niveau du sol, ce dont témoignent deux pavements de mosaïques superposés. Un fragment de l’un d’eux représente un splendide bouquet de fleurs dans un vase.

Image ci-contre : les ruines d’une basilique à proximité du Jourdain. Elle a été ensuite reconstruite sur des piliers et des arcades. © Sumit Lalchandani.

Derrière l’abside de la basilique fut exhumé un majestueux escalier de marbre qui descendait vers l’ancien lit du fleuve. Au pied de l’escalier, une seconde chapelle de taille modeste était gravée de nombreux graffiti en formes de croix. Toujours d’après les auteurs anciens, l’une des chapelles devait marquer le point où Jésus posa ses vêtements, et l’autre le lieu où le rite d’immersion fut accompli. Ces correspondances remarquables donnent de fortes présomptions à l’identification du site du baptême de Jésus-Christ.

Le tell Mar Elias

On fouilla d’abord sur le mont qui domine le Wadi Kharrar à l’entrée orientale de celui-ci. Il porte le nom de colline d’Elie, ou tell Mar Elias en arabe, parce que la tradition locale y place le point d’où le prophète Élie se serait envolé vers le Ciel (2 Rois 4, 14). Son sommet livra la plus importante concentration de vestiges archéologiques du secteur.

Image ci-contre : une vue des ruines de la basilique byzantine. © Sumit Lalchandani.

Un muret de pierres entourait les ruines d’un complexe incluant trois importants bassins, les restes de trois églises byzantines et un ensemble de canaux. Il s’agissait certainement d’un ancien sanctuaire paléochrétien, curieusement équipé d’un système d’alimentation en eau. Un long aqueduc alimentait les trois bassins bâtis en pierres rondes. L’importance donnée à l’eau fit penser à des fonts baptismaux, idée cohérente avec le souvenir de Jean le Baptiste. On supposa donc que ces bassins étaient des piscines baptismales adaptées à l’accueil de pèlerins en grand nombre.
L’église principale du tell possédait elle aussi un splendide sol en mosaïque, qui représentait des motifs géométriques et des croix. Une inscription grecque intégrée au pavement précisait que l’on se trouvait dans un monastère : « Par la grâce du Christ notre Dieu, l’ensemble du monastère fut construit au temps de Rhotorius, « le prêtre et abbé le plus aimé de Dieu ». Que Dieu le Sauveur lui donne la bénédiction.

Image ci-contre : dans les ruines de la basilique byzantine, une mosaïque représentant un splendide bouquet de fleurs dans un vase. © Sumit Lalchandani.

La seconde église était bâtie autour d’une cavité creusée dans le rocher qui lui servait d’abside. Une cloison transversale séparait l’abside de la nef. De fait, plusieurs auteurs anciens parlent d’une église bâtie autour de la grotte où saint Jean-Baptiste aurait résidé : il se pourrait donc que saint Jean-Baptiste ait dormi dans cet abri.
Une troisième église, apparemment construite en arcades semi-circulaires, fut baptisée « Église de Jean-Paul II » à la suite du passage du pape en 2000 qui y célébra une messe à l’occasion du grand Jubilé des chrétiens.
L’ensemble des vestiges occupant le sommet du tell Mar Elias a été daté grâce à des indices trouvés sur le terrain. L’occupation du tertre s’échelonne entre le IIe siècle avant et le VIe-VIIe siècle après J.-C., ce qui incita les chercheurs à l’identifier avec la Béthanie-au-delà-du Jourdain des Évangiles.

Autres vestiges

Tout le long du wadi se révélèrent encore de nombreux vestiges, dispersés en plusieurs points. Au débouché de la partie étroite de l’oued, un vaste bassin de forme ovale était relié à des canaux d’alimentation et d’écoulement. Son âge fut déterminé par des poteries romaines, byzantines et islamiques trouvées tout autour. Quelques mètres au-dessus se dressait un bâtiment qui a pu servir d’hôtellerie aux pèlerins.
En amont de l’Église Saint-Jean-Baptiste, une source d’eau coule sur un lit de pierres. Elle pourrait correspondre à celle que décrivit en 570 le pèlerin Antoine de Plaisance : Dans cette partie du Jourdain se trouve la source où saint Jean baptisait, et qui est à deux milles du Jourdain (…). Toute la vallée est occupée par des ermites.
À partir de la source, un sentier part vers le Nord pour atteindre une paroi rocheuse, laquelle abrite deux grottes aménagées en habitats rupestres. L’une de ces grottes est peut-être concernée par un étonnant récit du VIIe siècle, d’après lequel un moine-pèlerin pris d’une forte fièvre trouva un jour refuge dans un abri naturel. Il aurait alors eu une vision de saint Jean-Baptiste lui parlant ainsi : « Cette petite caverne est plus grande que le mont Sinaï, car notre Seigneur Jésus-Christ lui-même m’a rendu visite ici ». Le moine aussitôt guéri de sa fièvre s’installa dans cette cavité qu’il aménagea en église troglodyte.
Sur l’ensemble du site, fouillé entre 1996 et 2002, on dégagea une dizaine d’églises, cinq piscines baptismales et cinq cellules érémitiques, sans compter les bâtiments annexes. Le Wadi Kharrar semble avoir été très fréquenté par les chrétiens à l’époque byzantine, puis progressivement abandonné au Moyen Âge. Les pèlerins se seraient alors repliés sur la rive ouest, ce qui explique la fondation du monastère grec appelé Qasr el Yehud.
Pour être complet, mentionnons enfin un récit aux accents légendaires. Non loin du site du baptême, un sentier conduit aux restes d’un bâtiment fait de deux pièces et que les fouilleurs ont associé à un personnage du Ve siècle, sainte Marie l’égyptienne. Venue d’Alexandrie, Marie se serait convertie au christianisme en visitant Jérusalem, puis elle se serait retirée dans le désert de Jordanie (voir la carte ci-dessus). Elle mourut en présence du moine Zozime, qui creusa sa tombe avec la participation d’un lion ! La région fut certes longtemps habitée par des animaux sauvages, y compris par des lions …
Le Wadi Kharrar, site jordanien du baptême de Jésus, a été classé patrimoine de l’humanité par l’UNESCO le 5 juillet 2015.

Wulfran Barthélemy