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Bible, Histoire, Archéologie

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Histoire,
Archéologie

Dans la première phase de construction de l’Église, l’orthodoxie n’était pas un acquis ; au contraire on assiste à une multiplicité d’interprétations et de polémiques, si bien que la nécessité d’un «canon» apparaît à la fin du IIe siècle, afin de fixer les textes et la doctrine.
Le rapport entre orthodoxie et hérésie aux premiers siècles de notre ère est extrêmement complexe. L’événement fondateur, la personne et l’œuvre du Christ, est unique, mais les interprétations auxquelles il donne lieu sont différentes selon les milieux et les cultures en présence. Le christianisme des débuts n’est pas un mais multiple et varié. Les différents courants ne sont pas hérétiques et pas davantage orthodoxes puisque ces notions ne sont pas définies, il devenait toutefois nécessaire de fixer la doctrine dominante qui deviendra l’orthodoxie à la fin du IIe siècle.

La disparition des premiers témoins

Nous ne savons que peu de choses sur la mort des principaux acteurs de la première génération. Jacques, fils de Zébédée fut mis à mort vers 43 par Hérode Agrippa Ier, Jacques frère de Jésus, un des dirigeants de l’église de Jérusalem, fut lapidé sur l’ordre du grand prêtre Ananias vers 62 (selon Flavius Josèphe).

Image ci-contre : reconstitution d’une scène représentant un disciple régigeant une page d’un Évangile. © DR.

Quant aux apôtres Paul et Pierre, ils furent sans doute victimes de la politique de Néron envers les chrétiens après l’incendie de Rome vers 64. L’apôtre Jean, pour sa part, serait mort de vieillesse à Éphèse sous l’empereur Trajan (selon Polycrate d’Éphèse ou Irénée de Lyon). À la fin du Ier siècle, les témoins directs de Jésus avaient donc disparu.

Quelles églises ?

C’est à cette période que remontent les différentes tentatives de donner une forme stable à la tradition (souvent encore orale) des paroles et des faits de Jésus. Ces tentatives furent entreprises dans les principales églises chrétiennes d’alors, celles attestées par les sources jusque vers l’an 100.
L’aire géographique de ces communautés est assez vaste. Nous rencontrons la Palestine actuelle, la Phénicie, la Syrie et Chypre (avec Césarée, Nazareth, Damas, Tyr…) ; dans ce groupe on trouve bien sûr Jérusalem, communauté qui resta fidèle à l’observance de la Loi jusqu’en 132/135 (Deuxième guerre juive menée par Bar Kokhba contre Rome), mais dont l’influence décroît après la catastrophe de 70 (Destruction du Temple) ; et Antioche dès les années 30, point de départ de nombreuses missions, dont celles de Paul et lieu probable de la rédaction de l’Évangile de Matthieu vers 80.

Image ci-contre : « Ta parole est une lampe à mes pieds, une lumière sur mon sentier ». Psaume 119,105. © Grzegorz Zdiarski.

Les églises d’Asie forment un autre groupe (Laodicée, Milet, Pergame…) dont celle d’Éphèse, centre majeur de l’activité de Paul, où auraient été rédigées les «Lettres Pastorales», son évêque, Onésime, pourrait bien être l’esclave fugitif de l’Épître à Philémon ; c’est aussi le lieu des activités de l’apôtre Jean. On trouve ensuite en Grèce les églises de Philippes et de Thessalonique ainsi que celle de Corinthe qui est, au IIe siècle, un centre de production et de circulation d’écrits divers. Enfin existent des sites non précisés, dans les différentes provinces de la Turquie actuelle. Par ailleurs, on ne sait qui a fondé l’église d’Alexandrie (légende de sa fondation par Marc), peut-être qu’au départ ce sont ses écoles qui furent les plus importantes. Enfin il reste l’église de Rome, qui apparaît dans les années 40 et si elle ne revendique pas encore la direction de la Grande Église (l’Église catholique romaine), elle est la capitale de l’Empire et à ce titre attire de nombreux protagonistes qui y ouvrent des écoles philosophiques; d’autre part elle peut revendiquer l’apostolat de Pierre et de Paul et leur martyre ; il semblerait que l’Évangile de Marc y ait été rédigé.

Quels sont les textes de cette période ?

Paul est très présent dans le christianisme des origines du fait de son abondante correspondance avec les églises qu’il avait fondées ou visitées (on ne retrouve pas ce phénomène chez les autres missionnaires, les écrits qui les concernent étant certainement pseudépigraphes) ; après sa mort, ses Lettres ont continué à circuler dans les églises pauliniennes, elles ont été rassemblées et la plupart furent acceptées comme authentiques. Elles représentent un témoignage fondateur.
En dehors de ce cas très particulier, les souvenirs étaient transmis en unités séparées : un «dit» ou un groupe de dits sur tel thème, un miracle ou un groupe de miracles… on constituait des recueils de Paroles (comme la source Q, ensemble de textes dont se seraient inspiré les rédacteurs des Évangiles et dont l’existence est probable mais non assurée) ; il existe aussi de petits regroupements, comme celui inséré dans la Didaché (doctrine des douze apôtres ; premières décennies du IIe siècle ; voir (ci-dessous) le paragraphe sur la mise en place de l’orthodoxie).

Image ci-contre : Homélie sur l’Évangile de Jean ou l’Épître de Paul aux Corinthiens. Col III. H. 23,8 cm ; L. 11 cm. Inv. 828 verso ; Origène ? Pierre Bouriant 3 ; vH 693.
© Institut de Papyrologie de la Sorbonne, Paris.

Il semble qu’au départ il n’y eut qu’un seul récit relativement long, celui de la Passion, qui s’est formé très tôt, le plus ancien étant celui de l’Évangile de Marc. Les récits d’ensemble de la vie de Jésus apparaissent avec les trois Évangiles synoptiques : celui de Marc (vers 68/70 rédigé dans un lieu difficile à préciser) va dominer toute l’histoire du christianisme, celui de Matthieu (vers 70 rédigé à Jérusalem ou à Antioche?) et celui de Luc (Les Actes étant très vite séparés de l’Évangile) ; l’Évangile de Jean daterait de la fin du Ier siècle, il suppose connus les trois autres textes et s’attarde davantage sur les discours et proclamations de Jésus.

« Comme jésus marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et André, son frère, qui jetaient un filet dans la mer ; car ils étaient pêcheurs. Il leur dit : Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. Aussitôt, ils laissèrent les filets, et le suivirent.… » Matthieu 4, 18-20. © A. Lukasic.

Les textes « apocryphes » (terme signifiant : caché)

Les Évangiles sont terminés quand les apocryphes commencent à se multiplier. Le décalage pour certains est faible mais il est décisif, ils viennent à la deuxième place dans le temps et dans l’expression, soit à la fin du IIe et IIIe siècle. On distingue généralement trois groupes d’apocryphes : les évangiles archaïques, les évangiles-fictions, les évangiles gnostiques. Les plus anciens sont issus des milieux judéo-chrétiens, mais on n’en connait que quelques fragments cités par les Pères de l’Église. Le second groupe raconte une «histoire» en insistant sur les détails qui sont omis ailleurs et enjolivent la vie de Jésus. C’est là que l’on trouve la légende du bœuf, de l’âne et de la grotte de la nativité, l’enfance de Jésus, son séjour aux Enfers… ils ont aussi façonné l’essentiel de la piété mariale (enfance de Marie, présentation au Temple, virginité perpétuelle…) le plus ancien texte est l’évangile de Jacques et date des années 150. Enfin les évangiles d’inspiration gnostique sont des recueils de Paroles de Jésus après sa résurrection s’adressant à des disciples choisis, avec des allusions mystérieuses et «cachées». C’est le cas de l’évangile de Thomas, construit par ajouts successifs autour de logia du Ier siècle mais dont le papyrus le plus ancien remonte autour de l’an 200 ; l’évangile selon les Hébreux est attesté à la fin IIe siècle, mais il ne nous en reste que quelques fragments, dont le récit de l’apparition de Jésus ressuscité à son frère Jacques, faisant de lui, le référent de la communauté de Jérusalem. L’évangile de Judas de la fin du IIe siècle, a été découvert en copte daté du IIIe siècle, fait aussi partie du courant gnostique.

Image ci-contre : l’Épître de Paul aux Corinthiens. Col IV. H. 25 cm ; L. 18,4 cm. Inv. 828 verso ; Origène ? Pierre Bouriant 3 ; vH 693. © Institut de Papyrologie de la Sorbonne, Paris.

Il existe donc bien des courants hérétiques qui apparaissent au cours du IIe siècle, parmi ces courants les plus connus : celui de Valentin et son «Évangile de vérité» (texte retrouvé entier transcrit en copte et daté de 140) qui insiste sur un dualisme foncier ; il vint à Rome et y fonda une école avant d’être excommunié ; il en est de même de son contemporain Marcion : né dans le Pont, venu à Rome et excommunié comme lui, il prône une forme de dualisme qui rejette l’Ancien Testament, ne reçoit comme Écritures que les Lettres de Paul (sauf les Pastorales) et l’Évangile de Luc expurgé de toute référence juive.

La mise en place de l’orthodoxie

Certaines lettres épiscopales rendent compte de controverses sur le terrain ; ainsi quand Marcion eut achevé son travail de mise au point des Écritures selon ses critères (entre 139 et 144), il le présenta à l’Église de Rome au cours d’une audition devant la communauté ; ses interlocuteurs furent certainement des presbytres, chargés de la prédication ; sa démonstration suscita une réfutation sévère. D’autre part de nombreux évêques se sont engagés, allant sur le terrain et organisant des réunions ; celles-ci n’étaient pas réservées à des experts seulement mais à tous les fidèles qui le souhaitaient ; les débats locaux étaient donc largement ouverts et donnèrent lieu à la rédaction et la circulation de toute une littérature (lettres pastorales, mémoires et libelles).
La nécessité d’un «canon» ou «Règle de vérité», destiné à fixer les aspects les plus importants de la tradition chrétienne, apparaît dans la correspondance des évêques et les traités d’hérésiologie à la fin du IIe siècle. Au sens d’une sélection et d’un recueil de textes normatifs, c’était un besoin inédit (le canon des Écritures hébraïques est en effet postérieur).
Au cours du IIe siècle se construit l’idée d’orthodoxie, en référence aux apôtres et à leurs écrits. La véritable compréhension des Écritures est celle qu’en donnent les apôtres qui l’ont transmise aux communautés et aux dirigeants qu’ils y ont établis : les épiscopes ou presbytres (terme qui paraît équivalent pour parler des surveillants/administrateurs). En effet, les Actes attribuent à Barnabas et Paul l’institution des presbytres dans les églises qu’ils ont fondées (Actes 14,23) et selon le même texte c’est un conseil des Anciens (prebyteroi) qui est à la tête de l’église de Jérusalem. Ces personnages, mis en place par les apôtres, sont les garants de la bonne interprétation des textes. Leur témoignage est conservé dans les Écrits qu’ils ont laissés et dans la prédication qui ne veut être autre chose que la répétition fidèle du message originel. Un exemple peut être donné avec Polycarpe, évêque de Smyrne, formé par l’apôtre Jean.
Cependant, au cours du IIe siècle, la direction collégiale disparaît peu à peu au profit d’un mono-épiscopat désormais garant et gardien du « dépôt de la foi ». Cette évolution apparait clairement dans un texte comme la Didaché. Il s’agit d’un recueil de normes éthiques, liturgiques et de discipline ecclésiastique qui a sans doute été élaboré en Syrie dans la région d’Antioche ; il a fini d’être rédigé dans les premières décennies du IIe siècle. Le texte nous apprend que les épiscopes et les diacres étaient en train de prendre la place des prophètes et des docteurs en tant que détenteurs du pouvoir dans l’Église (non sans résistances ainsi que le montre le mouvement charismatique initié par Montan). La Didaché se présente comme l’ensemble des enseignements traditionnels et corrects qui doit constituer un modèle, d’où son titre : «Enseignement des douze apôtres». D’après cette analyse, les hérésies viennent après l’orthodoxie dont elles sont une déviation. Il y a là une tentative de résoudre le problème de la pluralité des théologies et des pratiques qui était en train de devenir plus aigu.

Comment reconnaître les églises et les textes orthodoxes ?

En ce qui concerne les textes, c’est leur ancienneté qui en est le garant ; on a vu que les églises du Ier siècle conservaient les textes, les recopiaient et les faisaient circuler.
Mais comment être sûr de leur interprétation ? C’est là que se met en place la notion de succession apostolique. Le premier témoin de ce critère normatif fut Hégésippe (vers 150 ; cité par Eusèbe de Césarée) ; lors de sa visite de nombreuses églises, il fut amené à dresser la liste des évêques qui s’étaient succédé depuis leur fondation par un apôtre, cette succession ininterrompue étant le gage de l’orthodoxie de l’enseignement. La Lettre de Clément de Rome aux Corinthiens présente pour la première fois les épiscopes comme les successeurs des apôtres et sacralise le pouvoir spirituel. D’autre part, un certain nombre d’épiscopes, les Apologistes, qui promeuvent le christianisme face au pouvoir romain, défendent aussi la «doctrine vraie» contre les hérésies (tels Justin, Tatien, Clément d’Alexandrie, Tertullien, Irénée…). Les lettres pastorales qu’ils écrivaient et qui circulaient entre les églises, permettaient de fixer auprès des fidèles les caractères de l’orthodoxie.
Finalement donc, au cours du IIe siècle, les différentes communautés sélectionnèrent, chacune de leur côté, les textes considérés comme authentiquement apostoliques, mais également comme étant les plus anciens. Apostolicité et antiquité furent les deux critères retenus. Il est remarquable que ce choix fut à peu près le même pour toutes les grandes églises de la chrétienté d’alors, avec quelques hésitations entre l’Apocalypse de Jean ou le «Pasteur d’Hermas» (suite de révélations, composé vers 140), l’inclusion ou non de certaines des Épîtres de Paul ou de Jude. On peut citer le codex de la collection Martin Bodmer (qui date du début du IIIe siècle) qui rassemblait dans cet ordre les Évangiles de Matthieu, Jean, Luc et Marc ainsi que les Actes des Apôtres.

Image ci-contre : le fragment de Muratori (détail) est un des plus anciens textes exposant le canon (presque) complet des Écritures. Composé au cours du IIe siècle, probablement en grec, il a ensuite été traduit en latin aux alentours du IVe siècle. Domaine public.

Globalement, le Nouveau Testament est partout le même, c’est d’autant plus notable qu’il n’y a eu aucune décision d’ensemble, aucune autorité qui aurait imposé cette démarche en cette seconde moitié du IIe siècle. On ne peut toutefois pas dater précisément l’apparition du Nouveau testament en tant que livre organisé avec un texte stabilisé ; l’un des repères possible est le «canon» dit de «Muratori» qui est une liste de livres établie à Rome entre 165 et 185, mais dont on ne peut dire s’il est un point de départ ou d’arrivée de la composition.
Le Canon du Nouveau Testament, ainsi formé, va servir de norme à l’orthodoxie : tout groupe qui rejette tout ou partie des Écritures (par exemple les gnostiques ou les marcionites…) se situe en dehors de l’orthodoxie. Cela n’empêchera pas l’apparition de nouvelles hérésies au cours des siècles suivants, mais il sera plus facile de les dénoncer et de les rejeter.
En 393, le concile d’Hippone énumère les 27 livres formant le canon du Nouveau Testament.

Pour en savoir plus

 – Le christianisme antique (Ier – IVe siècle). Paul Mattéi, Éditions Ellipse.
– Comment les chrétiens sont devenus catholiques (Ier – Ve siècle).
M. Fr. Bazlez, Éditions Tallandier.
– La naissance du christianisme, comment tout a commencé.
Enrico Norelli, Coll. Folio Histoire.